MOBILITE« La gratuité des transports s’assied sur l’équité » estime un économiste

« Avec la gratuité des transports, on s’assied sur les questions d’équité », estime l’économiste Pierre-Yves Péguy

MOBILITELa question de la gratuité des transports revient sur la table de la métropole de Lyon. Une mesure « faisable » mais pas vraiment « souhaitable » pour Pierre-Yves Péguy, directeur du laboratoire Aménagement économie transports
Pour Pierre-Yves Péguy, directeur du laboratoire Aménagement économie transports, la gratuité des transports pose « un problème d'efficacité, de cohérence et d'équité »
Pour Pierre-Yves Péguy, directeur du laboratoire Aménagement économie transports, la gratuité des transports pose « un problème d'efficacité, de cohérence et d'équité » - C. Girardon / 20 Minutes / 20 Minutes
Elise Martin

Elise Martin

L'essentiel

  • Alors que la métropole de Lyon avait enterré la question, le président Bruno Bernard a accepté de créer un groupe de travail sur la gratuité des transports en commun.
  • Des villes comme Calais, Dunkerque ou Chantilly ont fait ce choix depuis plusieurs années.
  • On a demandé à l’économiste Pierre-Yves Péguy, directeur du laboratoire Aménagement économie transports (LAET), si c’était une bonne idée pour une métropole comme Lyon.

Calais, Chantilly, Niort mais aussi Dunkerque et bientôt Montpellier. Ces villes ont un point en commun : elles ont instauré un système de gratuité pour toutes et tous sur leur réseau de transports. A Lyon, Bruno Bernard, président de la métropole, a accepté fin février de créer un groupe transpartisan pour étudier la question alors qu’il y était initialement opposé. Qu’est-ce qu’une telle mesure engendrerait pour la collectivité ? Et pour les usagers ?

Pierre-Yves Péguy, directeur du laboratoire Aménagement économie transports (LAET) à l’origine de travaux sur cette question, est revenu pour 20 Minutes sur la pertinence de la gratuité pour toutes et tous dans une métropole comme Lyon.

Est-ce que la gratuité des transports en commun est réalisable dans une métropole comme Lyon ?

Financièrement, c’est faisable mais ça a des conséquences. Des tarifs nuls induisent une hausse de la fréquentation. Il faudra donc augmenter l’offre, en matière de fréquence et de dessertes, pour ne pas se retrouver avec un réseau congestionné. Tout ça a un coût qui, jusqu’à présent, était relativement compensé grâce à un cercle vertueux expérimenté à Lyon. Une gratuité des transports remet en cause cette stratégie. Il faudra compenser le manque à gagner des recettes commerciales - estimées à 250 millions d’euros par an - par les contributions des employeurs via la taxe de versement mobilité et celles des collectivités pour couvrir les dépenses d’exploitation. Actuellement, le déficit d’exploitation s’élève à 161 millions d’euros. Si on passe à une gratuité totale, en 2030, on passerait à 578 millions d’euros avec 15 % de demande en plus, et à 662 millions d’euros si on a 30 % de demande supplémentaire. Le déficit serait ainsi triplé à court terme.

Outre l’aspect financier, la gratuité des transports est-elle souhaitable ?

Cette mesure pose trois problèmes redoutables. Le premier, c’est celui que je viens d’évoquer, c’est-à-dire l’efficacité d’un réseau avec moins de moyens et une augmentation de l’usage. Ensuite, nos travaux ont montré que la gratuité n’était pas cohérente avec les enjeux de son application. Pour la métropole lyonnaise, le but de cette mesure serait d’avoir un report modal, c’est-à-dire, faire changer de mode de déplacement. Dans le cas des grandes métropoles, il s’agit de passer de la voiture particulière à une mobilité douce afin d’avoir une ville décarbonée. Selon nos estimations, quand on instaure un tarif à zéro euro, la nouvelle clientèle proviendra principalement de la marche et des vélos, plutôt que de l’automobile, et pour des trajets courts en centre-ville plutôt qu’en périphérie. La gratuité n’est donc pas le meilleur levier si l’objectif est un report modal. Le dernier point, c’est un problème d’équité. Si c’est gratuit pour tout le monde, ça signifie que, quelle que soit votre localisation, quel que soit votre statut, votre revenu, c’est le même prix. Si on procède ainsi, on s’assied sur les questions d’équité et on fait comme si on avait tous les mêmes revenus. C’est un problème majeur. Il est nécessaire de prendre en compte les situations différentes de chacun. Il faut alors plutôt axer sur une tarification solidaire, qui intègre les profils des individus. Cette gamme existe à Lyon, mais elle pourrait être davantage simplifiée et élargie.



Pourquoi d’autres villes ont-elles déjà instauré la gratuité des transports ?

Comparaison n’est pas raison. Les enjeux ne sont pas les comparables. Lyon, c’est 1,5 fois plus de population que les dix plus grands réseaux des villes qui ont fait le choix de la gratuité, excepté Dunkerque. C’est aussi onze fois plus de voyages et cinq fois plus de coûts d’exploitation. Et les objectifs ne sont pas les mêmes. Pour Calais, par exemple, la stratégie d’un tel projet était de rendre les centres-villes plus attractifs et concurrencer les grandes surfaces en périphérie. Ce qui n’est pas le cas pour les grandes métropoles. A Montpellier, cette mesure ne concernera que les habitants du centre-ville. Dans d’autres communes, ça ne concerne que les week-ends. Et puis quelles que soient les raisons de mise en place et la taille des villes, les problèmes d’équité restent et se posent.

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